À qui se laisserait aller, dans ces
jours étranges de désintégrité nationale, à la mélancolie ou au
vœu pieu de la paix dans le monde – ce qui a bien y regarder est
un peu la même chose – CORONADO et AMOK AMOR pousseraient un peu
la côte du rire du pointu du pied. Il y a de la vie à revendre dans
leur musique, le CEAAC strasbourgeois et la Reithalle d'Offenburg en
garderont quelques séquelles lumineuses.
Coronado ? Yeah !
Au pire, un bien. Quatre mots qui
sonnent avec le tintement du paradoxe, ce samedi au CEAAC. À la fois
inquiétant mais aussi chargé d'un espoir pas piqué des hannetons.
La formule n'est pas que jeu de mot, c'est aussi et surtout le titre
de l'album de Coronado (à sortir en mars 2016). Un bien, c'est sans
doute ce que l'on retiendrait du set du combo nouveau monté par le
guitariste sur les cendres de son Urban Mood, si ne fallait n'en
retenir qu'une seule idée. La joie de jouer coule à chaque mesure
des fouilles arrangées par Franck Vaillant (drums), Antonin Rayon
(keys) et Matthieu Metzger (sax) entre alarme et quiétude. Fouilles
elles aussi, ordonnées par Gilles Coronado (Gibson SG, forcément)
en forme de paradoxes flamboyants et incongrus. Il faudrait se lover
dans le secret de titres comme La commissure des lèvres ou
La fin justifie le début pour
savoir tout à fait si cette musique vous saute à la gorge ou vous
saute au cou. L'énergie et l'obstination des structures
complexes relient la musique de Coronado à cette fameuse blague de
la Unheilmliche, l'inquiétante étrangeté du père Sigmund.
Cette musique oblige à la curiosité joyeuse, à mettre en veilleuse
les questions et le doute. La paire Vaillant/Coronado aide à cela
dans sa complicité puissante. Les deux autres voix ont le champ
libre pour nous filer le ticket du voyage. Il y a face à la
Californie une île nommée Coronado et assez de lumière avec pour y
aller Wasted and whirling
comme professe un des derniers morceaux du set de samedi. Ivres et
tourbillonnants. Les 4 orpailleurs ont trouvé là leur devise.
Amok ? À mort !
« tout n'est pour moi qu'une
histoire de flux », souriait un peu plus tôt en interview
Gilles Coronado. Pas mieux. Amok Amor (ne pas confondre avec le Amor
Amor d'Arielle Dombasle, ici la musique est garantie botox free)
choisit lui aussi le jeu, le jeu et rien que le jeu. La règle en est
lapidaire : le premier qui prend la parole aura raison de la
rage collective. Le reste n'est qu'affaire de circulation de
l'énergie la plus limpide et d'écriture méchamment de haute volée.
Le quartet, dans sa facture classique formation, pourrait avoir
repris l'étude du cadastre jazz là où le premier quintet de Miles
l'avait laissé avec la chute de Trane. Classique, oui et c'est le
joli cliché de départ qui fait heureusement long feu.
Le matériau thématique d'Amok Amor
est définitivement d'aujourd'hui. Si Christian Lillinger, coiffé
comme un Louis Garrel qui aurait appris à sourire, emprunte à la
frappe bop, ses structures tracent l'espace pour ses trois comparses
lancés têtes les premières dans ce post-post-bop hardcore mâtiné
d'avant-garde. Ce dernier trait de caractère est sans doute du à la
présence de Saint Peter Evans à la trompette. Phrasé détaché,
sauts harmoniques réalisés avec souplesse des hanches, façonnage
atrabilaire du souffle, son vocabulaire en constant développement
vient corrompre de la plus classe des manières tantôt l'unisson
parfait foré avec le sax de Wanja Slavin, tantôt la tourbe très
mobile plaqué par l'autre Peter, Eldh. Chauffée à blanc, cette
musique l'est. Élégante, cette musique l'est aussi. La
démonstration et la performance sont restées au vestiaire.
Hautement vivifiant, hautement salutaire. Relevez les bernes des
drapeaux, ce quartet apatride se charge d'une possible réponse solaire à
la poignée de sanglants salopards occupés à repeindre en rouge ce
mois de novembre.
badneighbour
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